Nom d’auteur :
Christian-Jacques ANDRE
Résumé
Telle une bouffée d’espoir et d’optimisme dans un monde en crise en proie à la folie des hommes, l’auteur nous livre, à cœur ouvert, un témoignage poignant qui déplace les montagnes de nos doutes et bouleverse nos croyances. Au fil des pages, c’est un véritable itinéraire de l’ombre vers la lumière qui s’offre à nous.
« Venu au monde cassé » comme il se décrit, il nous révèle comment il s’est servi de son handicap pour en faire une force et se reconstruire.
Aujourd’hui libéré de ses limitations et de ses peurs, il s’ouvre vers le monde.
Un témoignage précieux, véritable nourriture pour l’âme.
Découvrez quelques pages du premier chapitre:
Chapitre 1
Un monde obscur
Je suis né en 1966 dans l’est de la France, en Lorraine. Une terre entre deux pays, tantôt française, tantôt allemande. Arrivé prématuré, éjecté comme un boulet de canon, j’échappai déjà à la vigilance des sages-femmes pour atterrir sur le carrelage de la salle d’accouchement : Bienvenue sur Terre ! Si je n’avais pas encore idée de ce qu’était la matière, et de ma relation à elle, c’était chose faite désormais. Nouveau-né, je criais beaucoup. Ma mère installa donc mon lit dans une pièce au fond du couloir, à l’autre bout de l’appartement, pour ne pas être dérangée. S’ajoutant au fait de n’avoir pas été désiré par mes parents, ces multiples anecdotes finirent par ancrer en moi la sensation de ne pas être accueilli, de ne pas être à ma place. Vers l’âge de quatre ans, lors d’une visite du médecin de famille pour mon grand frère avec qui je partageais la chambre, l’homme s’étonna de me voir me balancer violemment de gauche à
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droite dans mon lit. Il demanda à ma mère si je faisais cela souvent. Elle répondit : « tous les jours, une bonne partie de la nuit ». Il dit que cet enfant avait quelque chose d’anormal. Aucune suite cependant ne fut donnée à cet événement. C’est quand j’entrai à l’école maternelle que je compris que je n’étais pas comme les autres, ou plutôt que les autres n’étaient pas comme moi ! En dehors de mon balancement perpétuel d’avant en arrière dès que je m’asseyais, on disait de moi que j’étais un enfant qui ne bougeait pas. Je trouvais les autres bruyants, instables, brouillons, voire un peu fous. Je ne comprenais pas qu’ils débordent de la feuille lorsqu’ils coloriaient, ni qu’ils mettent de la peinture ou du crayon partout. Les premières difficultés avec le corps enseignant apparurent très rapidement. On me disait comment il fallait se comporter, on me demandait de partager mes affaires personnelles avec les autres, de supporter le mensonge et la tromperie de mes petits camarades – bref, à mon sens, des déclarations de guerre de première catégorie. Le plus insupportable était que l’on puisse me dire que j’avais fait quelque chose de mal, et que j’étais
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coupable. Cela me mettait dans un état de terreur où je sentais en moi s’installer un comportement de survie. Je me souviens de mon premier jour de maternelle, lorsque la directrice de l’école nous demanda de nous mettre en rang et qu’un garçon me poussa hors du rang. Me voyant hors du rang, elle vint vers moi pour me réprimander. Je lui expliquai que je n’étais pas responsable et comme elle ne voulait pas l’entendre, je lui tins tête et refusai de rentrer dans le rang, tant qu’elle n’avait pas acquiescé de ma bonne foi. Elle se dit outrée d’un tel comportement et ne manqua pas de convoquer ma mère. Plus tard, en accompagnant des autistes et des personnes porteuses de trisomie 21, je pus voir combien nous avions en commun cette conscience de ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, et surtout de la notion de mensonge. C’est comme si nous n’arrivions pas à ranger dans notre esprit une information, un élément faussé ou qui n’est pas à sa place. Le concept même de bafouer la réalité était tout à fait insupportable. C’était comme si l’on violait la logique elle-même.
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Ensuite, les traumatismes se succédèrent dans la plus grande inconscience de ce corps enseignant qui n’avait pas été initié au rudiment de la communication non-violente et du respect de l’être. Je possédais relativement bien les bases de la parole mis à part un bégaiement systématique en situation de stress. Mes journées se déroulaient comme des rouleaux de papier à musique mais lorsque je rencontrais une fausse note ou un imprévu, un état de panique m’envahissait. Je me recroquevillais jusque dans le corps. Je rencontrai très vite des problèmes de posture ; il semblait que mon corps voulait s’enrouler de façon inexorable. Les nombreuses séances de kinésithérapie et les différents systèmes de corsets n’y faisaient rien. Je me voûtais à mesure que je grandissais. On finit par me diagnostiquer un syndrome dure-mérien. Je ne compris qu’une dizaine d’années plus tard, en suivant un cursus d’ostéopathie, que celui qui avait fait ce diagnostic, à travers ces mots savants, avouait humblement ne rien comprendre à l’ensemble des symptômes pourtant bien réels. Accumulant les expériences de ce type, je finis par me méfier
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de la médecine moderne qui fait certes des miracles dans certaines situations, comme celles des urgences par exemple, mais se trouve bien mal équipée dans d’autres cas comme les chronicités, les migraines, etc.
Comment le monde extérieur me percevait-il, à cette époque ? Un enfant étrange, asocial, renfermé sur lui-même, handicapé, attardé mental, incapable de faire de l’esprit, juste bon à être manuel, un manœuvre… Quelqu’un que l’on n’écoutait pas car on ne suspectait pas qu’il puisse être doué d’intelligence.
Comment je percevais moi-même le monde extérieur à cette époque ? Un monde dangereux, peuplé d’humains manquants d’identité mais doués de violence dès qu’ils étaient en groupe. Un monde qui parlait d’amour là où je ne voyais que des relations d’intérêt. Un monde limité où tout était déjà fini, normé, où il n’y avait que peu de place pour la différence et pour l’évolution dans l’ordre cosmique. Un monde où l’on croyait encore que c’étaient les adultes qui enseignaient aux enfants. Un monde où l’on croyait que l’intelligence venait de la tête plutôt que du cœur et que la connaissance
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s’obtenait dans les livres. Un monde où les sentiments changeaient plus vite que la direction du vent. Un monde d’identification où chacun rêvait son rôle et croyait être ce qu’il voyait de lui dans son rêve éveillé.
La limite à ne pas dépasser était l’agression physique. Si cette limite était franchie, je passais de l’enfant paralysé par la peur à la violence d’un animal sauvage se battant pour sa survie. Fort heureusement et en dehors de ma mère qui me battait, la vie m’a protégé la plupart du temps de ce type de situations.
Malgré la violence perpétuelle que je vivais à l’école ou en colonie de vacances, du fait de ma différence, je m’appliquais dans la mesure du possible à ne pas y répondre par la violence. Je découvris bien plus tard que, n’étant pas un grand maître zen, je me faisais beaucoup de mal à réprimer cette violence à l’intérieur de moi. Avec les années, mon corps était devenu de plus en plus dur, durci par la colère. J’aurais tant aimé sentir que quelqu’un allait venir me sauver là où j’étais. J’ai crié au secours, j’ai imploré Dieu. Je recevais le silence comme seule réponse.
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Je me souviens du jour où j’exprimai ma terreur à ma mère, lorsque je rentrai la tête en sang. Les garçons de ma classe de CE1 m’avaient jeté des pierres à la sortie de l’école. Elle ne semblait pas comprendre la gravité de la situation et mon désarroi d’avoir eu peur d’être lapidé. Elle prenait cela à la dérision alors que j’insistais en lui disant qu’il s’agissait « de vraies pierres » ! Je compris ce jour-là que dorénavant je serais toujours seul pour me défendre et cela me poursuivit une grande partie de ma vie. Une partie de moi continue à y croire.
Au CE2, le cauchemar continua à travers Madame Heit, l’institutrice de la nouvelle école où je venais de rentrer. Perchée derrière son bureau qui était surélevé par rapport à la classe, elle jetait mon cahier avec violence au travers de l’allée séparant les pupitres de mes petits camarades, en assénant d’une voie de crécelle : « André, tu n’es qu’une feignasse ! » Ces mots résonnent toujours en moi aujourd’hui. Je les ai reçus comme un coup de canon en pleine poitrine. Effectivement, je faisais tout pour comprendre et de mon mieux pour être accepté, ne pas faire de vagues et ne
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pas occasionner de tracas à ma mère qui était veuve avec trois enfants. J’étais tout sauf une feignasse. Depuis ce jour, et ce inconsciemment, je cessai d’entendre lors du cours de français, de peur qu’un mot vienne une nouvelle fois me blesser si fort. En réponse à cette injonction traumatisante, avec le désir d’une résolution, je passai la moitié de ma vie à manifester une hyperactivité qui voulait seulement traduire que je n’étais pas un feignant.
Pour moi, il est clair que chaque enfant qui vient au monde est un petit Bouddha. Les mémoires transgénérationnelles et karmiques dont il est porteur ne sont pas encore actives durant ses premières années. Ensuite, en plus de celles-ci qui commencent à se manifester au cours de son existence, on le formate à devenir un humain des temps actuels, emprisonné dans son mental. Puis il est victime de l’imprégnation des schémas de ses parents, et de toutes les personnes à qui il a à faire en attendant qu’on lui remplisse le cerveau avec des milliards d’informations dont il n’a jamais et n’aura sans doute jamais besoin dans sa vie
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